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Angola : « Luanda Leaks », corruption, sida et LGBTphobies
Publié le 11 février 2020
Régis Samba-Kounzi est un artiste franco-congolais-angolais qui fait partie de la première génération de photographes ouvertement LGBT+ et de militants de la lutte contre le sida du continent africain. Il analyse pour Komitid les relations entre la corruption, mise au jour par les « Luanda Leaks » et le sort des minorités sexuelles et de genre.
« Tout le monde regarde en direction des dollars de Dos Santos, mais le pétrole c’est quoi ? À cause du pétrole, il faut oublier les vies humaines ? ». dixit, mon grand-oncle, Nzita Henriques Tiago, compagnon de route de Patrice Lumumba, qui a mêlé sa vie et son combat contre l’injustice à l’histoire de l’Angola.
Les scandales petits et grands de corruption sont courants en Afrique et ailleurs, et c’est problématique pour la bonne gouvernance et le bien-être des populations, mais celui qui a été révélé le 19 janvier dernier par le consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) restera un tournant historique pour l’Angola, mais aussi pour le reste de l’Afrique et du monde, après les Panama Papers en 2016. Car il implique le couple le plus riche de ce continent, et une des familles les plus puissantes du monde, entourée d’une élite prédatrice.
Cette énième affaire de corruption, sous le nom de « Luanda Leaks », était connue de tout le monde depuis des années, à ce stade la notion de présomption d’innocence n’a aucun sens. Les preuves sont accablantes, ces révélations auraient pu être transformées par les accusés en conspiration, en jalousie, ou en vengeance politique n’eût été le sérieux de ces journalistes internationaux et la détermination inimaginable du lanceur d’alerte portugais Rui Pinto, qui a justifié son action au nom de l’intérêt des peuples spoliés. Dans cet article, nous analyserons aussi les conséquences de cette corruption, notamment sur les personnes vulnérables, dont les populations LGBT+.
L’hypocrisie à tous les niveaux, au nord comme au sud La « corruption africaine » n’est africaine qu’en ce qui concerne ses victimes, formule l’activiste et chercheur Rafael Marques de Morais. Le peuple angolais opprimé, a fait historiquement, pendant 500 ans, les frais de la domination coloniale et après l’indépendance, celui des intérêts communs de l’élite angolaise et celle du Portugal, ce scandale vient à nouveau nous le rappeler, il met à jour, la complicité de facilitateurs occidentaux. Une nouvelle forme de néocolonialisme.
Des acteurs internationaux, africains et occidentaux que ce soient des institutions et des individus ont participé, facilité, crédibilisé et optimisé des activités offshores de pillage des deniers publics avec voracité et impunité. « Les Luanda Leaks est un cas majeur de corruption internationale », comme l’indique Rafael Marques de Morais. « C’est le monde entier qui a projeté Isabel dos Santos comme la femme d’affaires la plus riche et la plus prospère d’Afrique quand elle était en train de détourner des fonds ». Selon l’ICIJ, les documents divulgués montrent comment « des sociétés financières, des avocats, des comptables, des fonctionnaires et des sociétés de gestion, de conseil et d’audit occidentaux ont aidé à cacher des actifs aux autorités fiscales ». Une fois la main prise dans le sac, certaines s’excusent platement « Au regard des signaux qui étaient là, nous aurions dû les voir et réagir plus tôt. Cela a été notre erreur », a déclaré au Guardian Bob Moritz, président du réseau international de PwC. Ils devraient tous rendre des comptes devant la justice.
« La société est devenue plus intolérante à la corruption, au manque de transparence et à l’évasion fiscale », a déclaré le ministre portugais de l’Économie, Pedro Siza Vieira. Précisons, tout de même que la société, d’où qu’elle soit dans le monde n’est pas devenue plus intolérante qu’avant. Elle a toujours été radicalement intolérante à la corruption. Ce qui a changé c’est l’accès aux informations et donc aux preuves divulguées par les hackers informatiques, et que l’on devrait féliciter et non emprisonner, qui donne une légitimité à la demande de justice. Les informations qu’ils nous fournissent aujourd’hui sont essentiels sans quoi, il n’y aurait jamais eu de de poursuites ou de procès, le système étant verrouillé et conçu pour protéger la délinquance à col blanc. Aujourd’hui, les autorités portugaises par exemple, ne sont préoccupées que par l’atteinte à l’image internationale des entreprises portugaises, et moins aux conséquences humaines de tels agissements. Elles se doivent de nous fournir des gages d’action concrète et efficace pour mettre fin définitivement à la corruption.
Disons-le d’emblée, je n’ai ni de haine pour Sindika Dokolo, homme d’affaires et collectionneur d’art d’origine congolaise, ni pour son épouse Isabelle Dos Santos, femme d’affaires et fille de l’ancien président José Eduardo Dos Santos. J’estime que leur vie ne se résume pas à la corruption. Si je m’exprime, c’est pour faire entendre un autre point de vue et participer à lutter, avec mon peuple, contre un système oppresseur planétaire. Car la corruption tout comme le sida, l’homophobie et la transphobie ont la même origine et sont un fléau mondial à éliminer. Comment parler de la corruption sans ses effets concrets, ses conséquences sur les populations les plus fragiles et sur les imaginaires ?
Mêmes origines sociales et géographiques, mais parcours opposé
Je partage avec Sindika Dokolo et Isabelle Dos Santos, les mêmes origines sociales, la même génération et les mêmes pays, le Congo-Kinshasa/Brazza et l’Angola. Mon père, André-Bernard Samba fut un célèbre journaliste et éditorialiste. Ma petite soeur est la fille du général Yhombi-Opango, avec qui ma mère a vécu 12 ans. Il y a 41 ans, le 5 février 1979, mon ex-beau-père, chef de l’état de la République populaire du Congo, a été destitué pour des motifs de corruption et d’enrichissement personnel. C’est parce que je suis né et que j’ai été élevé au coeur de cette classe sociale aisée et corrompue que je sais que la situation ne peut pas continuer ainsi. Nous ne pouvons pas favoriser l’enrichissement constante d’une petite partie des gens sans aucune répartition des richesses. Et, c’est pourquoi, j’ai fait le choix de construire ma vie autrement en m’engageant de façon désintéressée pour l’intérêt général et pour l’Afrique.
Le désastre du sida
Pendant que l’ex-famille présidentielle et l’élite angolaise s’enrichissaient – José Eduardo Dos Santos a régné pendant près de 40 ans, de 1979 à 2017 – les chiffres du sida ont explosé. Chaque année, un nombre croissant d’adultes et d’enfants sont infectés par le VIH en Angola. Pour l’année 2018, les chiffres de l’agence ONUSIDA donnent le ton, celui d’un désastre qui s’amplifie : 330 000 personnes vivent avec le VIH ; le pourcentage de personnes vivant avec le VIH parmi les adultes (15-49 ans) était de 2 % ; 28 000 personnes ont été nouvellement infectées par le VIH.14 000 personnes sont mortes d’une maladie liée au sida. Depuis 2010, le nombre de décès liés au sida a augmenté de 33 %, passant de 10 000 à 14 000. Le nombre de nouvelles infections par le VIH a également augmenté, passant de 26 000 à 28 000 au cours de la même période. Parmi les populations, celles désignées comme clés (et notamment les femmes, les travailleur.se.s du sexe, les hommes ayant des relations sexuelle avec des hommes) sont les plus vulnérables, fragilisées et touchées par la maladie.
Elles font face à des situations que ne connaissent pas les autres citoyen.ne.s, telle que l’expérience de la stigmatisation en raison de leur statut social ou de leur identité. Ceux et celles qui sont relégués dans le mépris et l’indifférence : les travailleuses et travailleurs du sexe, usagers de drogue, détenus et minorités sexuelles et de genre, dont les conditions de vie sont un sujet orphelin. Leur situation sociale, économique et sanitaire est préoccupante. C’est dans ce contexte que le VIH/sida fait des ravages méthodiquement à travers la mécanique imperturbable du silence et de l’invisibilité, le même mode opératoire que la corruption qui gangrène lentement mais sûrement l’économie du pays. La fuite des capitaux en raison de la corruption ne permet pas de répondre aux besoins vitaux de prévention ou de prise en charge des personnes malades. Les enjeux de cette corruption qui fragilise, notamment les systèmes de santé, ont pour conséquence l’abandon de groupes sociaux entiers et cela doit questionner sur la valeur de la vie accordée à des êtres humains.
La volonté politique du nouveau régime
Un motif de satisfaction, néanmoins, après des années de lutte : le 23 janvier 2019, le gouvernement du président Joao Lourenço a supprimé de son code pénal un article condamnant les « vices contre-nature », instaurée par les Portugais lors de l’ère coloniale. Un article qui avait largement été interprété comme une interdiction des relations sexuelles entre personnes de même sexe. Sous Dos Santos en 2001, le gouvernement angolais avait refusé de recevoir le nouvel ambassadeur Israélien Isi Yanouka au motif qu’il était gay. La situation des minorités sexuelles et de genre du pays était difficile, même si la chanteuse trans Titica, icône de la communauté, faisait danser tout le pays. En juin 2019, le ministère angolais de la Justice a légalisé pour la première fois dans le pays une association défendant les droits des personnes LGBT+. Nous ne sommes qu’au début d’un changement qui se veut révolutionnaire mais, d’ores et déjà, certain.e.s admettent que l’action du nouveau régime contre la corruption est bénéfique, et qu’il contraste radicalement avec le bilan de l’ancien, qui était en train de détruire le pays. Là où l’ancien régime a favorisé quelques personnes, le nouveau semble prendre partie pour le peuple, en tout cas pour plus d’inclusion, et les Angolais.es habitué.e.s et lassé.e.s de l’impunité des élites s’en réjouissent déjà. Sous la présidence de l’ex-président José Eduardo Dos Santos, la Justice était aux ordres, l’actuel président Joao Lourenço soutient que celle-ci sera désormais indépendante.
Extrême pauvreté
L’ancien régime a échoué sur le front de la lutte contre la pauvreté et du développement, malgré la richesse pétrolière du pays. De nombreux Angolais.es vivent encore dans une extrême pauvreté. Le pays a le taux de mortalité infantile le plus élevé au monde. Même au milieu de la capitale, il y a des quartiers sans évacuation des eaux usées. Les services de santé, qui ne sont souvent offerts que par des cliniques privées, sont trop chers pour beaucoup de gens. Le système éducatif est lui aussi sous-développé. Il n’y a pas que les Angolais.es qui attendent beaucoup de leurs autorités. Ce qui se passe dans cette puissance régionale d’Afrique centrale, est suivi par l’ensemble des populations de la sous région et du continent qui espèrent beaucoup que le chef de l’État Lourenço incarne un exemple qui fasse des émules, pour bénéficier à leur tour d’une chance pour le changement. Même si certains observateurs le soupçonne d’agir uniquement dans l’optique de sécuriser son pouvoir. Les droits protecteurs pour les minorités sexuelles et de genre qui garantissent nos libertés individuelles, tout comme son action sur le front de la lutte contre le sida, question gérée par son épouse, Ana Dias, sont des motifs d’espoir à ce jour. La tâche est titanesque. Il sera difficile d’en finir avec un système qui dure depuis 40 ans. Pour restaurer la confiance, il faudra une détermination de fer afin d’opérer un changement de mentalité radicale et décoloniser les imaginaires.
Un autre monde est possible…
C’est un choix de société que pose la question de la lutte contre la corruption, le sida, l’homophobie, et la transphobie. Celui du sens et de la valeur de la vie. Le panafricanisme que nous voulons, est un mouvement ouvert et inclusif qui protège tous les enfants du continent quel que soit leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur classe, leur race, leur sérologie dans la logique de la définition du manifeste politique du Mouvement de la conscience noire de Steve Biko. Il y affirmait que les Noir.e.s sont définis comme ceux et celles qui, légalement ou traditionnellement, sont politiquement, économiquement et socialement discriminé.e.s en tant que groupe dans la société et qui s’identifient comme une force unie dans la lutte pour la réalisation de leurs aspirations. Cette définition illustre à nos yeux une série d’éléments :
1) Être noir.e n’est pas une question de pigmentation, être noir est le reflet d’une disposition d’esprit.
2) Du simple fait de vous définir comme noir.e, vous vous engagez dans un cheminement vers l’émancipation, vous vous engagez à lutter contre toutes les forces qui tentent de faire de votre condition de Noir.e le sceau qui vous désigne comme un être subalterne.
Pour conclure, Sindika Dokolo a dit : « Je préfère que la richesse du continent revienne à un Noir corrompu plutôt qu’à un Blanc néocolonialiste ». Je lui réponds que nous ne voulons ni l’un ni l’autre. Tous les enfants de l’Angola doivent pouvoir vivre des richesses de leur pays, et chaque Africain.e, y compris LGBT+, doit pouvoir vivre dignement des richesses de son continent. C’est une priorité éthique, sociale, économique et politique majeure.
https://www.komitid.fr/20...s-samba-kounzi/
Publié le 11 février 2020
Régis Samba-Kounzi est un artiste franco-congolais-angolais qui fait partie de la première génération de photographes ouvertement LGBT+ et de militants de la lutte contre le sida du continent africain. Il analyse pour Komitid les relations entre la corruption, mise au jour par les « Luanda Leaks » et le sort des minorités sexuelles et de genre.
« Tout le monde regarde en direction des dollars de Dos Santos, mais le pétrole c’est quoi ? À cause du pétrole, il faut oublier les vies humaines ? ». dixit, mon grand-oncle, Nzita Henriques Tiago, compagnon de route de Patrice Lumumba, qui a mêlé sa vie et son combat contre l’injustice à l’histoire de l’Angola.
Les scandales petits et grands de corruption sont courants en Afrique et ailleurs, et c’est problématique pour la bonne gouvernance et le bien-être des populations, mais celui qui a été révélé le 19 janvier dernier par le consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ) restera un tournant historique pour l’Angola, mais aussi pour le reste de l’Afrique et du monde, après les Panama Papers en 2016. Car il implique le couple le plus riche de ce continent, et une des familles les plus puissantes du monde, entourée d’une élite prédatrice.
Cette énième affaire de corruption, sous le nom de « Luanda Leaks », était connue de tout le monde depuis des années, à ce stade la notion de présomption d’innocence n’a aucun sens. Les preuves sont accablantes, ces révélations auraient pu être transformées par les accusés en conspiration, en jalousie, ou en vengeance politique n’eût été le sérieux de ces journalistes internationaux et la détermination inimaginable du lanceur d’alerte portugais Rui Pinto, qui a justifié son action au nom de l’intérêt des peuples spoliés. Dans cet article, nous analyserons aussi les conséquences de cette corruption, notamment sur les personnes vulnérables, dont les populations LGBT+.
L’hypocrisie à tous les niveaux, au nord comme au sud La « corruption africaine » n’est africaine qu’en ce qui concerne ses victimes, formule l’activiste et chercheur Rafael Marques de Morais. Le peuple angolais opprimé, a fait historiquement, pendant 500 ans, les frais de la domination coloniale et après l’indépendance, celui des intérêts communs de l’élite angolaise et celle du Portugal, ce scandale vient à nouveau nous le rappeler, il met à jour, la complicité de facilitateurs occidentaux. Une nouvelle forme de néocolonialisme.
Des acteurs internationaux, africains et occidentaux que ce soient des institutions et des individus ont participé, facilité, crédibilisé et optimisé des activités offshores de pillage des deniers publics avec voracité et impunité. « Les Luanda Leaks est un cas majeur de corruption internationale », comme l’indique Rafael Marques de Morais. « C’est le monde entier qui a projeté Isabel dos Santos comme la femme d’affaires la plus riche et la plus prospère d’Afrique quand elle était en train de détourner des fonds ». Selon l’ICIJ, les documents divulgués montrent comment « des sociétés financières, des avocats, des comptables, des fonctionnaires et des sociétés de gestion, de conseil et d’audit occidentaux ont aidé à cacher des actifs aux autorités fiscales ». Une fois la main prise dans le sac, certaines s’excusent platement « Au regard des signaux qui étaient là, nous aurions dû les voir et réagir plus tôt. Cela a été notre erreur », a déclaré au Guardian Bob Moritz, président du réseau international de PwC. Ils devraient tous rendre des comptes devant la justice.
« La société est devenue plus intolérante à la corruption, au manque de transparence et à l’évasion fiscale », a déclaré le ministre portugais de l’Économie, Pedro Siza Vieira. Précisons, tout de même que la société, d’où qu’elle soit dans le monde n’est pas devenue plus intolérante qu’avant. Elle a toujours été radicalement intolérante à la corruption. Ce qui a changé c’est l’accès aux informations et donc aux preuves divulguées par les hackers informatiques, et que l’on devrait féliciter et non emprisonner, qui donne une légitimité à la demande de justice. Les informations qu’ils nous fournissent aujourd’hui sont essentiels sans quoi, il n’y aurait jamais eu de de poursuites ou de procès, le système étant verrouillé et conçu pour protéger la délinquance à col blanc. Aujourd’hui, les autorités portugaises par exemple, ne sont préoccupées que par l’atteinte à l’image internationale des entreprises portugaises, et moins aux conséquences humaines de tels agissements. Elles se doivent de nous fournir des gages d’action concrète et efficace pour mettre fin définitivement à la corruption.
Disons-le d’emblée, je n’ai ni de haine pour Sindika Dokolo, homme d’affaires et collectionneur d’art d’origine congolaise, ni pour son épouse Isabelle Dos Santos, femme d’affaires et fille de l’ancien président José Eduardo Dos Santos. J’estime que leur vie ne se résume pas à la corruption. Si je m’exprime, c’est pour faire entendre un autre point de vue et participer à lutter, avec mon peuple, contre un système oppresseur planétaire. Car la corruption tout comme le sida, l’homophobie et la transphobie ont la même origine et sont un fléau mondial à éliminer. Comment parler de la corruption sans ses effets concrets, ses conséquences sur les populations les plus fragiles et sur les imaginaires ?
Mêmes origines sociales et géographiques, mais parcours opposé
Je partage avec Sindika Dokolo et Isabelle Dos Santos, les mêmes origines sociales, la même génération et les mêmes pays, le Congo-Kinshasa/Brazza et l’Angola. Mon père, André-Bernard Samba fut un célèbre journaliste et éditorialiste. Ma petite soeur est la fille du général Yhombi-Opango, avec qui ma mère a vécu 12 ans. Il y a 41 ans, le 5 février 1979, mon ex-beau-père, chef de l’état de la République populaire du Congo, a été destitué pour des motifs de corruption et d’enrichissement personnel. C’est parce que je suis né et que j’ai été élevé au coeur de cette classe sociale aisée et corrompue que je sais que la situation ne peut pas continuer ainsi. Nous ne pouvons pas favoriser l’enrichissement constante d’une petite partie des gens sans aucune répartition des richesses. Et, c’est pourquoi, j’ai fait le choix de construire ma vie autrement en m’engageant de façon désintéressée pour l’intérêt général et pour l’Afrique.
Le désastre du sida
Pendant que l’ex-famille présidentielle et l’élite angolaise s’enrichissaient – José Eduardo Dos Santos a régné pendant près de 40 ans, de 1979 à 2017 – les chiffres du sida ont explosé. Chaque année, un nombre croissant d’adultes et d’enfants sont infectés par le VIH en Angola. Pour l’année 2018, les chiffres de l’agence ONUSIDA donnent le ton, celui d’un désastre qui s’amplifie : 330 000 personnes vivent avec le VIH ; le pourcentage de personnes vivant avec le VIH parmi les adultes (15-49 ans) était de 2 % ; 28 000 personnes ont été nouvellement infectées par le VIH.14 000 personnes sont mortes d’une maladie liée au sida. Depuis 2010, le nombre de décès liés au sida a augmenté de 33 %, passant de 10 000 à 14 000. Le nombre de nouvelles infections par le VIH a également augmenté, passant de 26 000 à 28 000 au cours de la même période. Parmi les populations, celles désignées comme clés (et notamment les femmes, les travailleur.se.s du sexe, les hommes ayant des relations sexuelle avec des hommes) sont les plus vulnérables, fragilisées et touchées par la maladie.
Elles font face à des situations que ne connaissent pas les autres citoyen.ne.s, telle que l’expérience de la stigmatisation en raison de leur statut social ou de leur identité. Ceux et celles qui sont relégués dans le mépris et l’indifférence : les travailleuses et travailleurs du sexe, usagers de drogue, détenus et minorités sexuelles et de genre, dont les conditions de vie sont un sujet orphelin. Leur situation sociale, économique et sanitaire est préoccupante. C’est dans ce contexte que le VIH/sida fait des ravages méthodiquement à travers la mécanique imperturbable du silence et de l’invisibilité, le même mode opératoire que la corruption qui gangrène lentement mais sûrement l’économie du pays. La fuite des capitaux en raison de la corruption ne permet pas de répondre aux besoins vitaux de prévention ou de prise en charge des personnes malades. Les enjeux de cette corruption qui fragilise, notamment les systèmes de santé, ont pour conséquence l’abandon de groupes sociaux entiers et cela doit questionner sur la valeur de la vie accordée à des êtres humains.
La volonté politique du nouveau régime
Un motif de satisfaction, néanmoins, après des années de lutte : le 23 janvier 2019, le gouvernement du président Joao Lourenço a supprimé de son code pénal un article condamnant les « vices contre-nature », instaurée par les Portugais lors de l’ère coloniale. Un article qui avait largement été interprété comme une interdiction des relations sexuelles entre personnes de même sexe. Sous Dos Santos en 2001, le gouvernement angolais avait refusé de recevoir le nouvel ambassadeur Israélien Isi Yanouka au motif qu’il était gay. La situation des minorités sexuelles et de genre du pays était difficile, même si la chanteuse trans Titica, icône de la communauté, faisait danser tout le pays. En juin 2019, le ministère angolais de la Justice a légalisé pour la première fois dans le pays une association défendant les droits des personnes LGBT+. Nous ne sommes qu’au début d’un changement qui se veut révolutionnaire mais, d’ores et déjà, certain.e.s admettent que l’action du nouveau régime contre la corruption est bénéfique, et qu’il contraste radicalement avec le bilan de l’ancien, qui était en train de détruire le pays. Là où l’ancien régime a favorisé quelques personnes, le nouveau semble prendre partie pour le peuple, en tout cas pour plus d’inclusion, et les Angolais.es habitué.e.s et lassé.e.s de l’impunité des élites s’en réjouissent déjà. Sous la présidence de l’ex-président José Eduardo Dos Santos, la Justice était aux ordres, l’actuel président Joao Lourenço soutient que celle-ci sera désormais indépendante.
Extrême pauvreté
L’ancien régime a échoué sur le front de la lutte contre la pauvreté et du développement, malgré la richesse pétrolière du pays. De nombreux Angolais.es vivent encore dans une extrême pauvreté. Le pays a le taux de mortalité infantile le plus élevé au monde. Même au milieu de la capitale, il y a des quartiers sans évacuation des eaux usées. Les services de santé, qui ne sont souvent offerts que par des cliniques privées, sont trop chers pour beaucoup de gens. Le système éducatif est lui aussi sous-développé. Il n’y a pas que les Angolais.es qui attendent beaucoup de leurs autorités. Ce qui se passe dans cette puissance régionale d’Afrique centrale, est suivi par l’ensemble des populations de la sous région et du continent qui espèrent beaucoup que le chef de l’État Lourenço incarne un exemple qui fasse des émules, pour bénéficier à leur tour d’une chance pour le changement. Même si certains observateurs le soupçonne d’agir uniquement dans l’optique de sécuriser son pouvoir. Les droits protecteurs pour les minorités sexuelles et de genre qui garantissent nos libertés individuelles, tout comme son action sur le front de la lutte contre le sida, question gérée par son épouse, Ana Dias, sont des motifs d’espoir à ce jour. La tâche est titanesque. Il sera difficile d’en finir avec un système qui dure depuis 40 ans. Pour restaurer la confiance, il faudra une détermination de fer afin d’opérer un changement de mentalité radicale et décoloniser les imaginaires.
Un autre monde est possible…
C’est un choix de société que pose la question de la lutte contre la corruption, le sida, l’homophobie, et la transphobie. Celui du sens et de la valeur de la vie. Le panafricanisme que nous voulons, est un mouvement ouvert et inclusif qui protège tous les enfants du continent quel que soit leur orientation sexuelle, leur identité de genre, leur classe, leur race, leur sérologie dans la logique de la définition du manifeste politique du Mouvement de la conscience noire de Steve Biko. Il y affirmait que les Noir.e.s sont définis comme ceux et celles qui, légalement ou traditionnellement, sont politiquement, économiquement et socialement discriminé.e.s en tant que groupe dans la société et qui s’identifient comme une force unie dans la lutte pour la réalisation de leurs aspirations. Cette définition illustre à nos yeux une série d’éléments :
1) Être noir.e n’est pas une question de pigmentation, être noir est le reflet d’une disposition d’esprit.
2) Du simple fait de vous définir comme noir.e, vous vous engagez dans un cheminement vers l’émancipation, vous vous engagez à lutter contre toutes les forces qui tentent de faire de votre condition de Noir.e le sceau qui vous désigne comme un être subalterne.
Pour conclure, Sindika Dokolo a dit : « Je préfère que la richesse du continent revienne à un Noir corrompu plutôt qu’à un Blanc néocolonialiste ». Je lui réponds que nous ne voulons ni l’un ni l’autre. Tous les enfants de l’Angola doivent pouvoir vivre des richesses de leur pays, et chaque Africain.e, y compris LGBT+, doit pouvoir vivre dignement des richesses de son continent. C’est une priorité éthique, sociale, économique et politique majeure.
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