LIVRES

Catalogue du 67eme Salon de Montrouge

La pratique de Régis Samba-Kounzi explore les croisements entre récit photographique au long cours et critique culturelle, en remettant en question le consensus sur l’identité des communautés marginalisées en Afrique, l’oubli et l’offense dont elles font l’objet. C’est de cet « étant donné » du militantisme, de l’intime comme des enjeux de classe et de race liés à l’histoire coloniale et postcoloniale, que se sont nourris ses travaux. Dans les années 2000, il participe à la commission Nord/Sud d’Act Up-Paris, où il rencontre Julien Devemy, ancien compagnon et complice de toute une vie. C’est avec lui qu’il signe l’installation Nos communautés de résistance pour l’exposition Exposé·es au Palais de Tokyo, comme une façon de sceller une traversée commune marquée par l’engagement contre l’épidémie de VIH/sida .

Le manque d’image et de documentation des communautés LGBTQIA+ en Afrique, tout comme son articulation aux effets de la colonialité, son influence sur les mœurs et sur les politiques publiques, amènent Régis Samba-Kounzi à mettre en évidence la complexité des parcours de vie dans le Projet minorités qu’il mène depuis 2010 . Cette multitude de témoignages – et l’archive visuelle correspondante – tentent d’expliquer ce que signifie être gay, lesbienne et trans aujourd’hui en Afrique, où plus de la moitié des cinquante-quatre États ont des lois répressives envers les personnes queer. Sans toutefois tomber dans le piège d’un clivage Nord/Sud contre-productif, l’artiste donne une voix, un visage et un corps à celles et ceux qui sont en quête de termes et de manières d’être au monde. Il ne les considère pas comme des objets de réflexions mais comme les sujets d’un tissu affectif, qui laisse entrevoir un « nous » formé à la fois des personnes concerné·es et des autres.

En donnant sens à leur histoire et à leur généalogie, Régis Samba-Kounzi remet en question les normes et les récits dominants. Il révèle les conséquences de cet effacement dans l’espace public et soulève des questions sur la responsabilité collective qui nous incombe, celle de prendre soin de nos communautés face à l’urgence et de transmettre leurs récits. C’est peut-être ce qu’il y a au bord de ses photographies et de ses installations : des espaces de passage, de transition, de résistance, d’émancipation et de soin, de lutte et d’amour, de travail et d’amitié. Tout ceci, et sans doute bien plus encore, constitue une constellation opérante et sensible dans l’œuvre de l’artiste. Celle-ci nous marque pour mieux nous dessaisir des réflexes nauséabonds hérités de l'impérialisme occidental, qui stigmatise encore aujourd’hui les personnes afro-descendantes et queer.

Il y a sans doute des photographies politiques, mais il y a certainement aussi une politique de la photographie dans les méthodes mises en place pour documenter ce qui ne l’est pas assez. Régis Samba-Kounzi a une relation particulière avec les personnes qu’il photographie, une relation qui passe de l’intime au public et se poursuit au-delà des espaces d’exposition : peut-être dans ces nœuds qui entremêlent l’éthique et l’esthétique, ou encore dans ceux qui brouillent les frontières entre l’artistique et le politique.

Clément Raveu


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1) L’expression « communautés de résistance » est empruntée à bell hooks, qui ressentait le besoin de créer ce que Thích Nhất Hạnh appelle « des espaces où nous pouvons guérir et revenir à nous-mêmes entièrement, plus souvent ». Voir bell hooks, Yearning: Race, Gender, and Cultural Politics, South End Press, Boston, 1999, p. 213. Traduction de l’auteur.
2) Exposé·es, d’après Ce que le sida m’a fait d’Élisabeth Lebovici, s’est tenue au Palais de Tokyo, Paris, du 17 février au 14 mai 2023. Curateur : François Piron.
3) Régis Samba-Kounzi, Projet Minorités, une archive visuelle queer, (2010-en cours).
 Penser le queer à partir de l’Afrique ? Ce livre s’y attache en prenant comme point d’entrée la littérature (prose, théâtre et poésie), mais aussi la photographie et le cinéma d’Afrique et de sa diaspora, pour penser les expériences et les existences queer.

À la fois champ disciplinaire, méthode et combat, les études queer renouvellent l’histoire et l’analyse littéraires africaines, revisitant à la fois des classiques tout en interrogeant les littératures de l’ultra- contemporain.
Panorama allant de Dambudzo Marechera à Mohamed Mbougar Sarr, de Maryse Condé à Zanele Muholi, cet ouvrage veut ancrer les études queer dans le monde francophone, en faisant un important état des recherches tout en repensant les utopies queer depuis l’Afrique.

Dorothée Boulanger est chercheuse en littératures africaines à l’université d’Oxford. Elle travaille sur les littératures lusophones, les questions de genre et les perspectives écocritiques. Elle est l’autrice de Fiction as History. Resistance and Complicities in Angolan Postcolonial Literature (Legenda, 2022).

Susanne Gehrmann est professeure de littératures et cultures africaines à l’université Humboldt de Berlin. Ses recherches portent sur les littératures francophones, l’innovation des genres et l’intermédialité. Elle est l’autrice notamment de Autobiographik in Afrika. Literaturgeschichte und Genrevielfalt (WVT, 2021) et a dirigé, avec Dotsé Yigbe, Créativité intermédiatique au Togo et dans la diaspora togolaise (LIT, 2015).

Ont contribué à cet ouvrage : Julia Borst, Laurel Braddock, Sylvie Brodziak, Nadia Chonville, Marion Coste, Eric Damiba, Danae Gallo González, Xavier Garnier, Nicola LoCalzo, Stéphanie Melyon-Reinette, Bernard de Meyer, Magali Nachtergael, Gibson Ncube, Hanane Raoui, Flora Roussel, Régis Samba-Kounzi, Françoise Ugochukwu.
 Catalogue de l’exposition « VIH/sida, l’épidémie n’est pas finie ! » 

Coordonné par : Stéphane Abriol, Christophe Broqua, Renaud Chantraine, Caroline Chenu, Vincent Douris, Françoise Loux, Florent Molle et Sandrine Musso. 

Avec les contributions de : Stéphane Akoka, Françoise Baranne, Emmanuelle Barbaras, Mary Bassmadjian, Pascale Bastiani, Dominique Blanc, Thibault Boulvain, Camille Cabral, Jean-Baptiste Carhaix, Isabelle Célérier, Michel Celse, Pascal Cesaro, Anne Coppel, Tom Craig, Didier da Silva, Gustave Dah, Hélène Delaquaize, Nicole Ducros, Mario Fanfani, Fabienne Hejoaka, Catherine Kapusta-Palmer, Gaëlle Krikorian, Jean-Marc La Piana, Guillaume Lachenal, Gwenola Le Naour, Christophe Martet, Romain Mbiribindi, Paul-Emmanuel Odin, Fabrice Olivet, Patrick Philibert, Alain Pierre, Julien Ribeiro, Giovanna Rincon, Régis Samba-Kounzi, Thierry Schaffauser, Isabelle Sentis, Marie-Hélène Tokolo, Nicole Tsagué, Arnaud Veïsse, Emmanuel Vigier et Jörn Wolters.

40 ans après sa découverte, le VIH circule toujours et 36 millions de personnes en sont mortes. Si les traitements antirétroviraux permettent désormais de vivre avec la maladie, on compte toujours un million de décès chaque année dans le monde. Les nouvelles contaminations ne cessent pas et la maladie reste celle des minorités et des sociétés vulnérables.

En pleine pandémie de Covid-19, la réalité de l'épidémie du sida est présentée dans une exposition au Mucem, qui retrace son histoire sociale, et dont ce livre, en co-édition avec le Mucem se fait l'écho. Son apparition et sa propagation dans les sociétés contemporaines ont provoqué des bouleversements intimes et sociaux, révélé des fractures et suscité des luttes historiques. Notre société porte les héritages de ces luttes, mais aussi les persistances des disparités engendrées ou révélées par le VIH/sida. Les luttes se poursuivent, pour briser le silence, éviter les nouvelles contaminations et réduire les inégalités, notamment en termes d'accès aux traitements.

L'exposition s'appuie sur le riche fonds d'objets et d'archives du Mucem, constitué dans les années 2000 par le biais d'une enquête ethnographique menée sur le thème de " l'histoire et des mémoires des luttes contre le sida " qui a permis la collecte de nombreuses traces de ces luttes, en France, en Europe et en Méditerranée. Des banderoles, tracts, affiches, revues associatives, brochures de prévention, vêtements, badges, rubans rouges, boîtes de médicaments, photographies et œuvres d'art ont été portés à l'inventaire (soit 12 000 pièces).

Le Mucem a conçu cette exposition en étroite collaboration avec des soignants, des personnes vivant avec le VIH, des chercheurs et des militants. Le catalogue de l'exposition est donc nourri du fonds iconographique dense constitué par le musée, autant que des réflexions partagées et du processus collaboratif qui a permis la conception de l'exposition " VIH/sida : l'épidémie n'est pas finie ! ".

Le sommaire du catalogue de l'exposition articule une histoire subjective de l'épidémie avec plusieurs récits de la collecte, pour permettre aux lecteurs et lectrices d'entrer dans un dialogue entre le point de vue des acteurs et celui du musée. Il a l'ambition de dresser un bilan des conséquences sociales de l'épidémie et des luttes qui lui sont opposées, pour inscrire cette histoire dans un cadre patrimonial et questionner la place de son héritage.

Éditeurs : MUCEM & ANAMOSA
 EXPOSE·ES

Ouvrage coédité par le Palais de Tokyo et Fonds Mercator

Ce catalogue qui accompagne l’exposition Exposé·es ne se divise pas en chapitres, mais entrelace les genres et les modalités d’écriture et de documentation, avec des formats variés. Il comprend notamment une multitude de courts entretiens ou écrits autour des pratiques des artistes et de personnes concernées, des essais commandés à des auteur·rices et des séquences d’images, représentant les travaux des artistes de l’exposition, ou documentant des projets artistiques qui ont eu lieu historiquement dans le contexte de ces luttes.
 
Avec les artistes : Les Ami·es du Patchwork des noms, Bambanani Women’s Group, Bastille, yann beauvais, Black Audio Film Collective, Gregg Bordowitz, Jesse Darling, Moyra Davey, Guillaume Dustan, fierce pussy (Nancy Brooks Brody, Joy Episalla, Zoe Leonard, Carrie Yamaoka), Nan Goldin, Felix Gonzalez-Torres, Hervé Guibert, Barbara Hammer, Derek Jarman, Michel Journiac, Zoe Leonard, audrey liebot, Pascal Lièvre, Santu Mofokeng, Jean-Luc Moulène, Henrik Olesen, Bruno Pélassy, Benoît Piéron, Lili Reynaud-Dewar, Jimmy Robert, Régis Samba-Kounzi & Julien Devemy, Marion Scemama, Lionel Soukaz & Stéphane Gérard, Georges Tony Stoll, Philippe Thomas, David Wojnarowicz

Et les auteur·ices : Clémence Allezard, Cécile Chartrain, Vinciane Despret, Mylène Ferrand, Amandine Gay, Philippe Joanny, Elisabeth Lebovici, Nicolas Linnert, Sylvère Lotringer, Tim Madesclaire, Helen Molesworth, Veronica Noseda, Peggy Pierrot, François Piron, Donald Rodney, Jane Solomon, Jo-ey Tang, Gaëtan Thomas
 
Samba-Kounzi, Régis, « Côte d’Ivoire : Rendre visibles les invisibles », in  Fonds de dotation Pierre Bergé (dir.), Au cœur de la lutte contre le sida avec le fonds de dotation Pierre Bergé, Paris, Moderne, 2017, pp. 187-205.