riposte

(en cours)

C’était une évidence à l'apparition de la crise du sida au début des années 80, qu’il faudrait unir nos efforts et être solidaire pour affronter ce qui à l’époque n’était encore qu’un mystère. Dès le départ, le Dr Jonathan Mann, pionnier de la riposte à l’épidémie avec les Drs. Kapita M.Bila et N’Galy Bosenge , nous exhortait avec une très grande force de conviction : « Ne pas oublier ce qui nous unit », « refuser d’accepter l’inacceptable ”. Nous incitant ainsi à ne jamais renoncer. Inquiet des différences et des injustices qui accentuent les vulnérabilités, il a activement théorisé et promu l'idée que la santé humaine et les droits de l'homme sont intimement et inextricablement liés. Il s’est appliqué à démontrer comment ces domaines se chevauchent dans leurs philosophies et objectifs respectifs pour améliorer la santé et le bien-être, et pour prévenir la mort prématurée. Nous interrogeant inlassablement : « Quelle est la différence entre un malade du Zaïre et un malade de New York ? Pourquoi l'un aurait-il des droits et pas l’autre ?». Encore aujourd’hui, les questions sociales, raciales et sexuelles demeurent des défis que nous devons collectivement relever pour venir à bout du VIH/sida. Nous nous en sortirons tous et toutes ensemble. Ou alors, personne ne s’en sortira.

L’épidémie la plus dévastatrice de l’histoire contemporaine de l’humanité nous apprend l’importance de la convergence des luttes. Dès 1987, Act Up New York rassemble une diversité de personnes venant de tous les horizons pour produire de l’intelligence collective afin de se battre sur tous les fronts et dans tous les espaces. En 1989, Act Up-Paris suivra.

Aujourd’hui, nous n’avons toujours pas tiré les leçons du passé, alors que sur les plans nationaux comme internationaux, l’appel à la convergence est fondamental. Des résistances sont en place, car la convergence ne se décrète pas. Il y a un préalable, celui de la reconnaissance de l’humanité de chacun. En France, en Europe, la maladie touche de façon disproportionnée les noirs, les homosexuels, et plus largement les populations précaires. Pour autant, les pouvoirs publics n’ont toujours pas pris la mesure des enjeux. Sinon, comment les populations migrantes sans-papiers pourraient-elles être touchées par tant de déshumanisation ? Dans les années 80, les états ont tardé à s’intéresser à certains groupes sociaux, en raison du mépris et de l’indifférence, car, l’épidémie ne semblait pas toucher tout le monde.

L’héritage colonial a eu pour résultats dommageables la division des êtres humains, y compris face à une tragédie sanitaire, en raison du racisme et de l’homophobie. Nous devons sortir de ces cloisonnements qui ont pour effet de nous affaiblir collectivement. Il nous faut prendre conscience du système qui en nous divisant joue contre l’intérêt général. En Afrique, l’épidémie a été longtemps perçue comme le problème des blancs homosexuels. L’inconscient collectif ayant subi un lavage de cerveau généralisé, donnant l’illusion qu’il n’y avait pas d’homosexuels sur le continent.

Les discriminations raciales, sexuelles, de genre et de classe au Nord comme au Sud ont ainsi directement contribué à tuer des millions de personnes appartenant ou non aux minorités. La crise du sida est pourtant l’exemple par excellence donné au monde pour construire, à partir d’une histoire commune tragique, un projet révolutionnaire de libération, d’humanité et de solidarité. Louis Georges Tin, universitaire, suggérait lors d’une interview, quelques questions simples à poser : le sida des homosexuels est-il si différent du sida des Africains ? La question des sans-papier trans est-elle si différente de celle des sans-papier africains ? Les violences policières à caractère raciste sont-elles si différentes des violences policières homophobes dans de nombreux pays ? Les insultes homophobes dans les stades de foot le dimanche sont-elles si différentes des cris de singe dans les tribunes ?

La crise structurelle du VIH/sida peut devenir une force motrice pour un développement plus équitable, l’abolition de la pauvreté, une égalité entre les sexes, une santé et une qualité de la vie pour tou.t.es. Elle devrait pouvoir inciter chacun d’entre nous à faire le maximum pour remettre en cause les injonctions et oppressions systémiques coloniales et néocoloniales qui ont permis à cette maladie de s’épanouir. Quand allons-nous saisir l’opportunité de laisser aux générations futures une société débarrassée des haines de toute sorte ?

Bibliographie :
Une voix dans le Silence, de Monique Mbeka Phoba, court métrage documentaire réalisé en 1996, raconte la lutte de Bruno Ediko, un béninois séropositif.
Nothing Without Us: The Women Who Will End AIDS un film de Harriet Hirshorn
Kapita M. Bila, SIDA en Afrique : maladie et phénomène social, Editions Centre de vulgarisation agricole, 1988
Elizabeth Fee and Manon Parry, « Jonathan Mann, HIV/AIDS, and Human Rights » Vol. 29, No. 1 (Apr., 2008), pp. 54-71 (18 pages), Journal of Public Health Policy, 1980-2016
Film documentaire : "Fire in the Blood", de Dylan Mohan Gray, 2012 https://www.youtube.com/watch?v=eVf2UUu_w4o
Huntly Collins, [« Un pionnier du sida parmi les victimes : Jonathan Mann a été l'un des premiers à avertir d'une dévastation mondiale potentielle »], sur www.inquirer.com, The Philadelphia Inquirer, 18 juillet 2014.
Laborde-Balen Gabrièle, Bernard Taverne et Ibra Ndoye, « Ne pas baisser la garde ! : l’inquiétante progression des échecs thérapeutiques face au VIH en Afrique sub-saharienne », Face à face [En ligne], 16 | 2020, mis en ligne le 19 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/faceaface/1632
Voir les gens dans les pourcentages / The Lancet, January 2021
https://www.thelancet.com...e/PIIS2352-3018
VIH 40 : les inégalités alimentent les pandémies / The Lancet, Juillet 2021
Film documentaire « 40 ans de sida Silence = Mort », Jobst Knigge, 2021